RAPPORT DIAGNOSTIC SUR LA CONTREBANDE DES DIAMANTS EN REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE

RESUME EXECUTIF

Les exportations légales des diamants bruts en provenance de la République centrafricaine ont connu une baisse considérable depuis le début de la crise militaro-politique de 2013. Si une certaine proportion a toujours quitté le pays sans suivre la chaîne de traçabilité légale du PK, celle-ci ne représentait pas une partie majeure de la production. En 2018, les exportations légales étaient de 11.526 carats, soit 3% des 365.917 carats exportées en 2012, tandis que la production continue dans toutes les zones diamantifères. En effet, selon une étude scientifique par l’USGS, les cinq (5) zones autorisées par le PK à exporter ont produit 164.000 carats en 2017, soit la moitié de la production nationale estimée à 330.000 carats. Il est donc raisonnable de conclure que l’écart entre les exportations actuelles et la production historique et estimée représente le volume qui quitte le territoire en contrebande.

La contrebande est devenue dominante et implique un large éventail d’acteurs: les acheteurs légaux ne déclarent qu’une partie des achats, les acheteurs illégaux achètent des diamants ouvertement en province comme dans la capitale, les vols internes transportent des diamants depuis des zones contrôlées par des groupes armés, et les réseaux de l’aéroport international facilitent le passage des colis. L’objectif de cette étude n’est pas de cartographier tous les itinéraires de la contrebande, mais une partie importante de la contrebande transitent par le Cameroun via des frontières terrestres et les vols réguliers de Bangui.

L’étude diagnostique visait à recueillir les perspectives des parties prenantes et des experts sur la manière dont la contrebande est devenue largement plus importante que les exportations légales et comment inverser la tendance. Bien que financée par le projet DPAM, l’étude a été réalisée conjointement par les spécialistes du projet, les cadres du Ministère des Mines et de la Géologie et le Secrétariat Permanent du Processus de Kimberley. Cette approche visait non seulement à découvrir les facteurs clés de la contrebande, mais également à créer un consensus au niveau technique sur les stratégies et les changements à prendre en compte par le Gouvernement et les parties prenantes internationales. En tant que telle, l’approche de l’étude visait à contribuer à l’amélioration de l’élaboration des politiques et à identifier les priorités en matière d’engagement extérieur.

Le rapport est organisé autour de trois groupes de facteurs expliquant la situation actuelle. Le premier facteur est les difficultés dans la mise en œuvre du Cadre opérationnel pour la reprise des exportations de diamants bruts de la RCA, adopté par le Processus de Kimberley en 2015. L’objectif du PK avec ce Cadre opérationnel était d’alléger la pression sur la RCA, qui dépendait fortement des diamants pour les recettes et les moyens de subsistance de la population, en permettant une reprise partielle des exportations des zones répondant à certains critères. Cependant, le Cadre opérationnel ne fonctionne pas. Non seulement les diamants provenant de zones sous le contrôle de groupes armés entrent-ils facilement dans la chaîne d’approvisionnement mondiale, mais la chaîne de traçabilité du SCPK s’est effondrée. Cela est dû en partie à une incompatibilité fondamentale entre les exigences du Cadre opérationnel et les réalités de la chaîne d’approvisionnement organisée autour de bureaux d’achat opérant avec des marges serrées et des besoins élevés en fonds de roulement. Toutefois, cette défaillance est également due aux faiblesses institutionnelles qui existaient bien avant la suspension du PK en 2013, mais qui se sont aggravées après la crise.

Le deuxième groupe de facteurs concerne les changements et les dysfonctionnements dans la chaîne d’approvisionnement en diamants bruts. Le Cadre opérationnel du PK est l’une des causes principales de ces dysfonctionnements, notamment en ce qui concerne l’absence de financement et le départ des bureaux d’achat majeurs, mais ce n’est pas le seul problème. Les effets de la violence intercommunautaire dans les régions de l’Ouest, entraînant le déplacement d’acheteurs musulmans au Cameroun, est un facteur qui se fait sentir toujours car plusieurs acheteurs continuent d’acheter depuis l’autre côté.

Il y a également l’effet de la rupture du « tissu social » de la chaîne. La chaîne d’approvisionnement repose sur des relations socio-économiques complexes et des règles non-dites sur les rôles et le partage des bénéfices. Aujourd’hui, le système est marqué par l’aversion au risque, la méfiance et la confusion des rôles. Les artisans miniers sont moins enclins à accepter les marges des assureurs car ils connaissent le «vrai» prix payé par les contrebandiers. En plus, tout le monde est lourdement endetté, donc le peu de financement qui entre dans le système est mal utilisé. De même, les anciens acheteurs des bureaux d’achat ayant accès aux marchés internationaux deviennent des collecteurs. Ils asphyxient ainsi les collecteurs locaux sans accès à l’étranger. Plus généralement, les tendances internationales contribuent à la réduction des marges et à l’évolution des pratiques. L’émergence de l’exploitation aurifère a également une incidence sur la disponibilité de main-d’œuvre pour l’extraction de diamants et a créé de nouveaux défis à relever.

Le troisième groupe de facteurs concerne l’impunité en matière de contrebande et la prévalence d’autres activités illégales et frauduleuses. Bien que la fraude a toujours posé un problème en RCA, elle a atteint un point tournant où elle est devenue quasiment la norme. Plus la contrebande augmente, plus cela devient difficile à la contourner. Avant la crise, au moins une partie des personnes trouvées à l’aéroport de Bangui tentant la contrebande de diamants a été interpellés, grâce en partie aux avantages financiers que tiraient les agents effectuant les saisies. Aujourd’hui, la question se pose de pourquoi aucun contrebandier depuis quelques années n’a subi des conséquences pour ses actions, un fait qui montre l’inefficacité des contrôles et la puissance des réseaux de trafic.

En analysant ces différents facteurs, l’étude diagnostique visait à identifier des solutions pratiques à tous les niveaux. Pour le PK, un débat sérieux devrait avoir lieu sur la viabilité du Cadre opérationnel, en particulier l’obligation de vérifier à distance les colis chaque mois avant l’exportation. En outre, un examen sérieux de l’utilisation des diamants saisis par le gouvernement centrafricain ou d’autres pays est nécessaire sinon la lutte contre la contrebande sera en vain.

Pour le Gouvernement centrafricain, les responsables devraient voir dans le présent moment une opportunité rare pour repenser leur système de chaîne d’approvisionnement, notamment en ce qui concerne la manière dont les artisans miniers sont organisés, les données sont collectées et utilisées et le rôle institutionnel du Secrétariat Permanent du Processus de Kimberley. En ce qui concerne la chaîne d’approvisionnement, des consultations avec les bureaux d’achat et des experts externes sont nécessaires pour réévaluer les redevances et les taxes et l’organisation de la chaîne.

Cependant, aucun changement ne se produira sans le strict minimum en matière d’application des mesures de contrôles et de la répression, notamment à l’aéroport de Bangui, mais également en ce qui concerne les protections accordées aux trafiquants ou aux acteurs semi-industriels illicites opérant en coopérative. Les réseaux de trafic international nécessitent une attention particulière. Néanmoins le point de départ pour renverser la tendance devrait être l’application de la loi par le Gouvernement centrafricain, car tant que des efforts tangibles ne seront pas déployés, la chaîne d’approvisionnement légale restera affaiblie et le Gouvernement ne sera pas crédible dans ses efforts pour amener le PK à lever totalement la suspension.

De manière plus générale, la RCA pourrait bénéficier d’un dialogue approfondi sur le secteur minier, peut-être sous forme des états généraux, surtout en tenant compte de l’Accord de Khartoum et des activités d’extraction semi-industrielle et l’exploitation aurifère qui se développent. Le dialogue contribuera à susciter l’adhésion à la réforme, à générer des idées techniques et surtout à restaurer la confiance dans la chaîne d’approvisionnement, qui, à la fin du compte, ne concerne pas les pierres, mais les personnes – leurs vies, leurs moyens de subsistance et leur bien-être. La contrebande de diamants bruts touche donc des questions fondamentales de la gouvernance en RCA et devrait être considérée comme une priorité et une occasion de contribuer au processus plus large de consolidation de la paix et de relance économique.